Anglais, Autrichiens, Espagnols, Français, Hollandais, Prussiens et Russes... tous les grands peuples européens ont laissé ici des souvenirs de leurs passages plus ou moins longs, plus ou moins heureux. Lorsqu'ils étudient le sol et le sous-sol pour y découvrir l'évolution de l'histoire au cours des siècles, les archéologues parlent de strates révélatrices de l'évolution d'une civilisation. En va-t-il de même pour une ville comme Gand qui, dès le moyen-âge, était connue pour être la seconde ville en importance de l'Europe de l'époque, après Paris?
L'influence française en particulier aurait-elle laissé des traces durables de ses multiples passages? De Saint-Amand à la comtesse de Flandre Jeanne de Constantinople, de Louis XIV à Napoléon I, de Louis XVIII à Chateaubriand, Victor Hugo, Rodin, Debussy, Viollet-le-Duc... jusqu'aux combats de la guerre 14/18 et 39/45... cette présence française est incontestable.
Le moins connu de ces Français est sans doute Amand. Il quitta son Poitou natal pour évangéliser les "provinces du nord". Il reçoit les terres entre la Scarpe et l'Elnon et c'est 1à qu'il jette les bases de la future abbaye d'Elnon, qui deviendra l'abbaye Saint-Amand. Devenu évêque itinérant en l'an 628 il continue sa mission vers le nord à Marchiennes, à Gand où il fonde l'abbaye Saint-Pierre puis à Maestricht. Ces abbayes deviendront, années après années, des foyers de culture religieuse, sociale et économique.
L'histoire nous apprend que Charlemagne est venu à Gand dans les années 810 pour en assurer la défense face aux incursions répétées des Vikings. Les premières ébauches d'un castellum dateraient de cette époque. Gand devenait ainsi le poste avancé de la défense des vallées de l'Escaut et de la Lys. Plus tard, en 1180, c'est à Gand que Philippe d'Alsace construira le superbe Château des Comtes toujours debout aujourd'hui! Ainsi protégée la cité entrera dans une ère de prospérité: l'industrie drapière prend son essor: seul problème, la laine des moutons locaux ne suffisant pas, il fallut se fournir ailleurs. Le marché anglais était proche et facile d'accès par la mer: c'était la bonne solution économique. L'avenir dira que ce n'était peut-être pas la bonne solution historique.
Au lendemain de la bataille de Bouvines en 1214, la comtesse de Flandre Jeanne de Constantinople qui avait vu son mari le comte Ferrand emmené prisonnier à Paris, se retrouvera seule à porter les responsabilités du Comté. Femme de grand courage, elle prendra les décisions efficaces: ainsi, pour Gand, c'est elle qui fera creuser le "canal maritime", la Liève pour faciliter l'approvisionnement en laine et autres produits venant de la mer, c'est elle qui ouvrira un Béguinage comme ceux de Courtrai et Lille, c'est elle qui mettra en place les XXXIX de Gand chargés de gérer la ville. La comtesse Jeanne et après elle sa soeur Marguerite furent des femmes clairvoyantes et fermes. Leur indépendance souvent mise en danger, elles ont pris au bon moment les bonnes décisions.
Jusqu'à l'arrivée d'un pouvoir central organisé par l'empereur Charles Quint, l'histoire de Gand balancera entre France et Angleterre, entre révoltes et expériences politiques d'indépendance. Il faudra attendre la guerre des Droits de la Reine pour voir le roi de France Louis XIV envahir les provinces des Pays-Bas.
En 1667, tombent Charleroi, Armentières, La Bassée, Furnes, Tournai, Douai et Lille et le 24 mai 1673 les armées du roi sont à Gand. Retour des armées du roi quelques années plus tard après un siège très court le 9 mars 1678. "La campagne de Gand" aboutit à la Paix de Nimègue: "la Paix du Nord" a-t-on dit. La Paix d'Utrecht en 1713 nous laissera une frontière proche de celle qui se voit aujourd'hui.
Lille, capitale administrative des ducs de Bourgogne passera progressivement, au cours des XVIIè et XVIIIè siècles, de la culture espagnole à la culture française. Les arts y seront pour une part importante. Pour participer à la Réforme catholique, les Jésuites, les Capucins et les Carmes déchaussés feront appel aux peintres flamands pour orner leurs églises. Rubens, en particulier fournira de nombreuses commandes dont s'honore aujourd'hui le Palais des Beaux Arts. La volonté de Louis XIV était de faire de Lille "la plus belle ville du royaume": la Citadelle au nord, la Porte de Paris au sud, l'urbanisation qui impose de nouvelles perspectives au centre...
L'exemple tout proche de cette transformation influencera, à Gand, quelques-unes des plus belles réalisations de l'époque: l'Hôtel Goethals, l'Hôtel Verhaegen, l'Hôtel Falligan et surtout l'Hôtel d'Hane-Steenhuyse dont on dira bientôt qu'il est un petit Versailles. Voilà sans doute la raison pour laquelle le roi Louis XVIII cherchera un refuge durant les Cents Jours, c'est à Gand qu'il sera reçu comme monarque.
Le XIXè siècle sera le siècle des échanges Nord-Sud... et Sud-Nord. Faut-il rappeler les nombreux voyages de Victor Hugo certes exilé mais admiratif de ce qu'il découvrait à Gand: "C'est vraiment une belle ville: quatre rivières s'y rencontrent, l'Escaut, la Liève, la Moer et la Lys. C'est un réseau d'eau vive qui se noue et se dénoue à tout moment à travers les maisons et qui partage la ville en vingt-six îles; ce qui fait qu'avec ses barques, ses innombrables ponts, ses vieilles façades trempées dans l'eau, Gand est une espèce de Venise du Nord..." (lettre à Adèle le 24 août 1837). En plus de la liberté d'écrire et de publier, Victor Hugo appréciait les chemins de fer belges qui lui permettaient, dix ans avant le train Paris, Lille, Tourcoing, Mouscron, Courtrai, de découvrir Ostende, Bruges, Bruxelles, Malines, Anvers, Furnes...
Faut-il rappeler que Cambon et Philastre après avoir travaillé au théâtre d'Anvers décorèrent l'Opéra de Gand en 1840. Rodin avouait qu'il avait vécu ses plus belles années à Bruxelles mais c'est Gand qui lui organisa sa première grande exposition en 1883. C'est le Baron de Béthune, initiateur à Gand du style néo-gothique, qui proposera le superbe projet pour la construction des Facultés Catholiques de Lille: ce plan fut accepté et réalisé (Boulevard Vauban). Courbet est invité à Gand en 1856 et 1874. Debussy fait la rencontre de Maeterlinck: de ces longues conversations naîtra le chef d'oeuvre Pelléas et Mélisande. George Minne n'a-t-il pas été encouragé tout au long de ses recherches par Verhaeren, Maeterlinck, Gauguin, Redon et Rodin? En 1900, la ville de Gand souhaitait terminer l'Hôtel de Ville par une construction digne de la cité en plein essor: c'est à Viollet-le-Duc que l'on fit appel.. mais le projet n'aboutit pas. Enfin c'est à Paris, au cours de l'Exposition Universelle que Emile Claus reçut la Grande Médaille d'Or.
Le XXè siècle vécut un double échange. Les combats pour la liberté en 14/18 et 39/45 qui laissèrent aux cimetières de Gand la garde de nombreux "Morts au Champ d'Honneur". Les échanges industriels permirent un extra-ordinaire essor de la sidérurgie sur l'eau au port de Gand. Il y a eu jusqu'à cinquante firmes françaises implantées à Gand mais les fusions et la mondialisation en décidèrent autrement au XXIè siècle.
Participent à ces échanges économiques, sociaux et culturels de nombreuses Associations de Français impliqués dans la vie quotidienne de la Cité. Ils confirment que Gand, reste la ville des confluences, au carrefour des langues, des cultures et des créations européennes.
Jean CALLENS